Le ministre des Affaires étrangères du Maroc : « Le Dialogue de Tanger doit devenir un événement annuel pour proposer des idées innovantes »

Dans son discours d’ouverture, le ministre marocain des Affaires étrangères, Monsieur Nasser Bourita, a exprimé l’espoir que le Dialogue de Tanger devienne une rencontre annuelle où intellectuels, journalistes, politiciens et penseurs se réunissent pour faire la différence. Il a exhorté les participants à aller au-delà du « brainstorming » et à appeler à un changement réel et tangible.

Discours du ministre des Affaires étrangères du Maroc, Nasser Bourita – Cérémonie d’ouverture – 10 juin 2022

Chère Leah, Cher Miguel, Excellences, Mesdames et Messieurs, Chers invités,

C’est un grand honneur et un réel plaisir, pour moi, de prendre la parole devant un parterre d’invités aussi prestigieux. Permettez-moi donc de vous souhaiter, à toutes et à tous, la bienvenue au Maroc.

L’on ne pouvait espérer meilleur cadre pour accueillir un dialogue de cette envergure. Qui mieux que le pays qui se situe à la croisée des cultures, des continents et des civilisations, pour accueillir un débat ancré dans l’histoire, résolument tourné vers le futur et authentiquement axé sur le partage ?

Si le Maroc est le lieu idéal pour cela, c’est d’abord pour le leadership et par la vision de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, Que Dieu L’assiste. Les principes d’ouverture et de tolérance ; les valeurs de paix et du vivre-ensemble font, pour ainsi dire, partie de l’ADN du Royaume. Et, qui mieux pour incarner cet esprit d’ouverture et de brassage, que Tanger – Tanger la belle, Tanger la cosmopolite. Tanger qui, sous l’impulsion de Sa Majesté le Roi, s’est agrandie, s’est modernisée et s’est ouverte encore plus sur le monde, sans jamais perdre son âme.

Il n’est pas anodin que ce soit Tanger qui nous accueille. Entre 2 continents, entre 2 rives, entre 2 mers ; Tanger a toujours été le carrefour, le trait d’union. Elle a toujours gardé les yeux rivés sur l’horizon et l’âme ouverte à l’Autre. C’est d’ici qu’Ibn Battouta est parti à la découverte du monde. C’est ici que Matisse et Delacroix sont venus trouver l’éclat de lumière et l’éclair de génie.

Sans doute pourrions-nous, nous aussi, y trouver l’inspiration nécessaire pour une réflexion lucide et féconde. Et c’est là une des vocations du Projet Aladdin. Le projet Aladin est une utilité forte dont l’une des expressions est l’organisation de ce genre de réunion, mais son action va au-delà, et son impact peut aussi être plus profond.

En effet, chère Leah Pisar, Chers amis ; L’engagement du Maroc aux côtés du Projet Aladdin est un engagement de la première heure. En 2009 déjà, lors du lancement du Projet, Sa Majesté le Roi Mohammed VI, dans Son Message aux participants, nommait l’indicible avec courage et rejetait le négationnisme avec vigueur.

Depuis, le Maroc n’a cessé de soutenir le Projet Aladdin, y compris en restant fidèle à son esprit et actif au sein de son Conseil d’administration. Je salue, à cet égard, l’engagement discret mais efficace de M. André Azoulay, Conseiller de Sa Majesté le Roi.

C’est que le Projet Aladdin est venu cristalliser un engagement marocain de longue date : Le même engagement qui s’exprimait à travers la protection des concitoyens de confession juive par Feu Sa Majesté Mohammed V, face à la xénophobie et le nazisme.

Le même engagement qui s’exprimait à travers l’esprit de fraternité et d’ouverture cultivé par Feu Sa Majesté Hassan II entre juifs et musulmans partout dans le monde. Le même engagement qui s’exprime aujourd’hui, et depuis plus de 2 décennies, à travers l’engagement de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, pour intégrer l’affluent hébraïque dans la Constitution marocaine, valoriser et sauvegarder le patrimoine juif national.

Comme votre regretté père, chère Léah, nous pensons, au Maroc, qu’il « n’y a pas d’ennemis héréditaires ». Comme vous, nous savons, au Maroc, que « l’éducation ouvre à la tolérance ». Et comme vous, nous défendons, au Maroc, l’Histoire commune pas dans ses déclinaisons partielles ou parcellaires, mais dans sa mémoire élevée, qui appartient à tous.

Et Sa Majesté le Roi l’a dit en 2009 : [je cite] « Nous devons partir ensemble à la reconquête de la raison et des valeurs qui fondent la légitimité d’un espace de convivialité où les mots de dignité, de justice et de liberté auront à s’exprimer de la même façon et à se conjuguer avec les mêmes exigences, quelles que soient nos origines, nos cultures ou nos spiritualités ».

Cet « espace de convivialité » que défend Sa Majesté le Roi, c’est aussi l’essence même de l’Alliance des Civilisations, dont je salue tout particulièrement le leadership engagé, inlassable, en la personne de son Haut Représentant, mon ami Miguel Angel Moratinos.

Oui, l’Alliance est nécessaire, aujourd’hui plus que jamais, à un moment si particulier de l’histoire, où les certitudes bougent, où la géopolitique se réécrit, et où les causes à l’origine même de la création de l’Alliance connaissent une résurgence sans précèdent. C’est pour cette raison, d’ailleurs, que le Maroc compte abriter cette année le 9ème Forum de l’Alliance, pour la première fois en Afrique.

Chers amis,

Les échanges, comme ceux qu’abritera le Dialogue de Tanger, sont essentiels. Car, le monde a toujours besoin de réflexion libre, dépassionnée, « out of the box » and « out of the block » ; besoin d’une approche décomplexée des sujets complexes … Le monde a besoin de tolérance intellectuelle, de diversité de perspectives.

Reste, comment le Dialogue de Tanger peut marquer sa spécificité et faire la différence. Peut-être d’abord, en transcendant le brainstorming, vers une prise en charge active des sujets discutés. C’est pourquoi le mélange entre intellectuels, journalistes, politiques et penseurs, peut faire la différence !

Ensuite, en pérennisant et en élargissant la réflexion. Il faut que le Dialogue de Tanger devienne une tradition, un rendez-vous régulier. Et enfin, il ne faut plus que l’actualité dicte l’échéance de nos rencontres. Durable, le Dialogue de Tanger doit aussi rester créatif, jamais redondant ; audacieux, jamais suiviste.

Le contexte actuel rend pertinent un tel exercice. Le Monde est en ébullition ; c’est peu de le dire. C’est une époque de transformations profondes, qui nous invite à examiner le monde extérieur d’un œil et se livrer à un exercice d’introspection de l’autre.

La pandémie a été un puissant révélateur de l’état profond de la société internationale. Là où elle devait cristalliser la conscience d’un destin partagé, la pandémie a porté le visage du « chacun pour soi ». Elle a marqué un affaissement de la coopération internationale, à la faveur d’un repli national généralisé : on a vu détourner des masques à peine achetés, déjà rachetés sur le tarmac. On a vu des accès privilégiés et prioritaires au vaccin, en ignorant le retour de boomerang d’une vaccination à deux vitesses.

Et à peine le monde parvient-il à apercevoir l’espoir d’une relance post-Covid, que d’autres sources de divisions commencent à lorgner. On cherche davantage à vaincre, et moins à convaincre. On instaure les jeux à somme nulle en consignes de victoire, au lieu d’ériger la réussite mutuelle en règle du jeu. On parle de souveraineté à tout-va ; sacrifiant la sécurité collective sur l’autel de la souveraineté individuelle ; comme si l’une et l’autre étaient exclusives. On renoue avec la violence comme mode de régulation : violence dans le langage ; violence dans les actes ; violence jusqu’à la guerre.

Qu’il s’agisse de l’emploi de la force, ou d’une violence économique ; les manifestations de conflictualité sont devenus légion. On confond l’intensité d’une conviction avec la brutalité d’une impulsivité. ­Et, on se surprend ensuite de la montée du terrorisme, qui se mêle, du reste, au séparatisme. La pensée unique prospère sur le terrain de fausses certitudes. Les extrêmes saturent le débat, et remplissent l’espace.

Chers Amis,

Je ne vous cache pas que j’étais anxieux sur ce que le diplomate que je suis peut apporter à une réflexion sur les Lumières. Il est certain que les Lumières ne sont pas seulement une période historique précise (1715-1789), cantonnée à un espace géographique particulier (Europe); mais comme un état d’esprit, qui doit se frayer un chemin dans la diplomatie aussi.

D’ailleurs, l’ère des lumières est, également, celle de l’essor de la diplomatie moderne. Non seulement parce qu’elles coïncident historiquement, mais parce qu’elles sont portées par le même élan. Montesquieu disait : « ce ne sont pas les médecins qui nous manquent, c’est la médecine ». Pour le paraphraser, je dirais que « ce ne sont pas les diplomates qui nous manquent, c’est la diplomatie » j’ajouterai même : diplomatie des lumières.

Permettez-moi de partager avec vous quelques éléments à ce sujet :

Un : Le temps diplomatique doit redevenir « géopolitique », et pas seulement « politicien ». C’est un Temps long, un Temps stratégique, qui a besoin d’élan pour construire dans la durée, d’espace pour expliquer, et d’endurance pour faire adhérer.

C’est tout le contraire du temps tactique, qui se déploie par « petits coups » et vit sur les sondages et les réactions. La « Diplomatie des lumières » est une « course de fond », par une « sprint de headlines ». Les lumières sont souvent dans la subtilité de la trajectoire.C’est le sens de la construction diplomatique patiente mais visionnaire menée par Sa Majesté le Roi Mohammed VI en Afrique, au Moyen Orient et sur les Questions multilatérales et globales.

Deux : La meilleure solution n’est pas nécessairement celle que nous n’avons pas encore trouvée. Elle est, parfois, juste devant nous. Au Moyen-Orient par exemple, le salut passe peut-être par un retour à l’essentiel, c’est-à-dire une solution qui permet la cohabitation, le respect des droit légitimes des uns et des autres, et le dépassement des rancœurs et des rancunes, des attentes et des déceptions. C’est aussi valable en Afrique du Nord, pour ramener de la raison dans des choix qui défient trop souvent la rationalité.

Trois : Le monde gagne à avancer vers la « co-connaissance ». Comme l’a dit Sa Majesté Le Roi : [je cite] : « Les radicalismes, qu’ils soient ou non religieux, reposent sur la non-connaissance de l’autre, l’ignorance de l’autre, l’ignorance tout court. La co-connaissance est une négation de toutes formes de radicalisme. Et c’est cette co-connaissance qui nous permettra de relever les défis de notre présent tourmenté ». Mais, pour aller vers cette co-connaissance, encore faut-il cesser d’essentialiser les religions, et en particulier la religion musulmane et ses croyants.

Pour le Maroc, pays de la Commanderie des croyants, la religion doit être un rempart contre l’extrémisme et non son prétexte. C’est cela que prône Sa Majesté le Roi à travers la diplomatie cultuelle du Royaume en Afrique. La Fondation Mohammed VI des Oulémas et l’Institut Mohammed VI pour la formation des Imams, des Mourchidines et Mourchidates sont là précisément pour contrer le radicalisme qui sévit aux portes de l’Afrique et promouvoir un Islam de la modération, du juste milieu. Car, comme l’a dit Sa Majesté le Roi : [je cite] « la religion est Lumière, Savoir, Sagesse ». Elle trouve son expression la plus éloquente dans l’appel d’Al Qods, dans lequel

Sa Majesté le Roi et le Pape François, ont appelé à « préserver la Ville sainte de Jérusalem/Al Qods Acharif comme patrimoine commun de l’humanité et, par-dessus tout pour les fidèles des trois religions monothéistes, comme lieu de rencontre et symbole de coexistence pacifique, où se cultivent le respect réciproque et le dialogue ».

Excellences, Mesdames et Messieurs,

A quelques exceptions près, la relation entre l’Occident et le monde musulman n’a pas toujours été totalement harmonieuse. C’est là peut-être une évidence historique, mais pas une fatalité. Mais, comme dans la plupart des interactions entre civilisations, il y a toujours des dimensions positives, même dans les frictions les plus douloureuses.

L’Université musulmane d’Al-Qarawiyine à Fes n’a-t-elle pas formé un Souverain Pontife (le Pape Sylvestre II) ? L’Andalousie musulmane n’a-t-elle pas joué un rôle dans le cheminement de l’Occident vers son Siècle des Lumières ? Cette même Andalousie musulmane n’a-t-elle pas été le chainon rétabli dans la chaine du savoir, entre la science moderne et les connaissances de la Grèce antique ?

Les Croisades n’ont-elles pas été, paradoxalement, une opportunité d’échange d’idées et de connaissances, en même temps que de conquête et de commerce ? De même pour la médecine, la musique, la philosophie, la navigation et que sais-je encore …Bien nombreuses sont les innovations qui ont traversé la barrière des civilisations, avant de traverser la barrière de l’espace et du temps.

Alors, pour reprendre le titre de l’une des « jalsates » (جلسات (du Dialogue de Tanger, « nous devons réinitialiser les relations entre l’Occident et les pays musulmans ».

Sous le leadership de Sa Majesté le Roi, le Maroc apporte la démonstration que le monde musulman n’est pas un fardeau pour l’Ouest ; bien au contraire, un pays qui apporte des réponses nationales à des problématiques globales pressentes. Un pays qui contribue de manière active aux débats et aux actions autour de ces problématiques. Il est d’ailleurs un allié central dans la lutte contre le terrorisme ;un partenaire crédible contre les changements climatiques ; un acteur responsable de la gestion la migration. Ce sont précisément nos complémentarités qui nous permettent d’appréhender une diplomatie des Lumières en action.

Chère Leah, Cher Miguel, Excellences, Mesdames et Messieurs, Chers invités,

Le siècle des lumières a ceci de particulier, qu’il n’a jamais cessé d’inspirer l’humanité. Et si parfois l’on n’arrivait pas à l’égaler, l’on se contenterait d’emprunter sa grammaire. L’enjeu du Dialogue de Tanger est de remettre les Lumières à l’ordre du contemporain.

Puisse Tanger porter haut cette ambition : celle d’un monde meilleur, où les Lumières, d’où qu’elles viennent, ne laissent personne ni dans l’obscurité, ni dans l’ombre. Je vous remercie.